Données en temps réel et enquêtes traditionnelles : deux sources complémentaires pour suivre la mobilité

par | 22 juin 2021 | Institut Paris Region, Pour aller plus loin

Le premier confinement au printemps 2020 a immobilisé la France. À partir du déconfinement le 11 mai 2020, on s’est tous posé la question de savoir comment les Franciliens allaient reprendre leurs déplacements dans un contexte de télétravail massif. Le réflexe immédiat a été de penser à des enquêtes traditionnelles de type sondage où l’on interroge un échantillon représentatif de la population francilienne sur leurs déplacements. Ce genre d’enquêtes est aussi l’occasion d’interroger les individus, au-delà des questions de mobilité, sur leurs comportements dans leur vie quotidienne : travail, logement, consommation, usage du temps libre, etc.

Citons trois enquêtes traditionnelles qui ont été lancées après le premier confinement :

  • L’Institut Paris Region a fait réaliser du 5 au 19 mai 2020 par Médiamétrie auprès d’un panel de plus de 3 000 Franciliens une enquête sur les évolutions possibles de leurs comportements post-Covid. Le questionnaire était auto-administré en ligne. Un document de synthèse des résultats a été publié en juin 2020. L’enquête sera renouvelée début juillet 2021 pour la deuxième fois.

 

  • L’« Enquête sur la mobilité au temps de la Covid-19 », lancée par Île-de-France Mobilités sur un rythme bimestriel depuis septembre 2020. À chaque vague, environ 4000 Franciliens sont interrogés par téléphone sur leurs déplacements de la veille. À ce jour, la quatrième vague sur mars-avril est terminée et est en cours d’analyse. Les résultats des trois premières vagues font l’objet de diaporamas sur le site de l’OMNIL.

 

  • L’enquête de suivi de la mobilité des Franciliens par le « Collectif Mobilité Île-de-France » emmené par INOV360, regroupant une trentaine de collectivités locales et d’entreprises, dont l’Institut Paris Region. Environ 4000 Franciliens représentatifs de la population répondent à un questionnaire auto-administré en ligne. Quatre volets d’enquête ont déjà été réalisés : en juin, juillet, septembre 2020, janvier 2021. Le 5ème volet est en cours actuellement.

Ces trois enquêtes sont très riches d’enseignements car elles permettent de croiser les caractéristiques socio-économiques, lieux de résidence et modalités de réponse des différentes thématiques. Mais elles présentent aussi quelques faiblesses inhérentes à tout sondage. D’abord elles ne permettent pas de répondre aux questions de suivi « en temps réel » de la mobilité (par exemple, quelle était la fréquentation des transports en commun ou des pistes cyclables la semaine dernière ?). Les trois enquêtes ont une faible fréquence, de deux mois à un an, révélant finalement une photographie des comportements à un moment donné et non un film. Ensuite, le temps de traitement des données de l’enquête génère un certain délai avant la diffusion des résultats, qui peut les rendre obsolètes à ceux qui cherchent à suivre la mobilité per et post-Covid de manière continue. Par exemple, alors que le mois de juin se termine, les derniers résultats publiés des enquêtes d’IDFM et du Collectif Mobilité datent de janvier-février. Enfin, ces enquêtes ont un coût financier non négligeable.

De ces inconvénients est venue l’idée puis la conviction à l’Institut Paris Region qu’il était possible de suivre la mobilité en « temps réel » avec des données numériques existantes et quasiment sans dépenser un euro.  Dès octobre 2020 a été mis en ligne un tableau de bord (TdB) de suivi de la mobilité avec des données temps réel d’usage des modes. Le TdB a pour but de regrouper en un seul lieu toutes les données de comptages existantes pour tous les modes, de recueillir une fois par mois les données les plus actualisées possible, de montrer l’historique des usages depuis au moins le début de la pandémie, de mettre en place une « data visualization » grand public et de publier des indicateurs d’évolution mensuelle. Par exemple, à ce jour, le Tableau de Bord présente déjà les tendances de reprise du trafic dans les transports en commun et de retour en présentiel sur le lieu de travail sur les deux premières semaines de juin 2021.

Les données proviennent de la sphère open data comme les comptages routiers et vélos de la Ville de Paris, disponibles à J+1, ou encore l’index Moovit de fréquentation des transports en commun, le trafic aérien de la base Opensky, les comptages du registre national de preuve du covoiturage et les comptages Winflow à la Défense mis en ligne par la RATP. D’autres données sont accessibles sur des plateformes privées comme le SIDV d’Île-de-France Mobilités pour les données de télébillettique mais avec un mois de différé pour des raisons de consolidation de la donnée. Les données de congestion routière sur le réseau de voies rapides sont fournies par la DIRIF, celles sur les trajets des services PAM (Pour Aider à la Mobilité) dédiés aux personnes à mobilité réduite par les Départements et celles sur les trajets de free-floating à Paris et en petite couronne par l’agrégateur de données Fluctuo. Enfin, le suivi de la mobilité par grands motifs de déplacements (travail, achats, loisirs, promenade) est rendu possible par la mise à disposition en open data à J+2 des données de Google Mobility. Le défaut commun à toutes ces données est que l’on ne peut pas remonter aux profils des usagers.

Exemple de graphique

Ce Tableau de Bord comble clairement une lacune dans le paysage. Les nombreux retours positifs des partenaires de l’Institut Paris Region et des producteurs de données satisfaits de voir leurs données valorisées nous encouragent à compléter et à améliorer chaque jour le dispositif.

Quelle est la suite ? D’abord nous travaillons actuellement sur une automatisation de la chaîne recueil – traitement – visualisation pour les données en open data. Ensuite nous cherchons à compléter le Tableau de Bord avec de nouvelles données sur le fret et la logistique urbaine. Au-delà d’un simple monitoring en temps réel, nous réfléchissons aussi à des fonctionnalités de prédiction faisant appel à des algorithmes de deep learning. Nous envisageons également de produire nos propres données, pas seulement d’utiliser celles des autres. Ainsi, nous engageons une réflexion pour une prochaine expérimentation d’une Enquête Mobilité par GNSS (EMG). Enfin, ce Tableau de Bord pourrait préfigurer un datalab multi-thématiques à l’Institut. Nous pensons qu’il faut partir des « use case » métier (comme on l’a fait sur la mobilité). Dans les domaines de l’environnement et de la biodiversité, un véritable défi doit être relevé sur la création de données temps réel par un déploiement massif de capteurs IoT. Les domaines de l’économie et de l’habitat pourraient aussi renouveler leurs approches grâce aux données dites alternatives, c’est-à-dire de données utilisées dans d’autres domaines (données sur la TVA, la consommation électrique, les transactions bancaires, les images satellitaires, les transactions immobilières, etc.), en complément des données standard de l’INSEE qui sont disponibles avec un différé de 3 à 4 ans. Un datalab serait ainsi une structure transversale dédiée à l’innovation autour du big data et des données alternatives. Il permettrait de faire travailler les experts métiers et les data scientists, en croisant leurs expertises autour de la donnée, ce que l’on fait déjà à l’Institut avec notre Système d’Information Géographique Régional, mais ces nouvelles données numériques ouvrent de nouveaux champs d’étude et de recherche.